Deuxième extrait

Dix-sept heures sans aucune défaillance, comme un seul homme, nous arrêtâmes le travail allant comme c’était de coutume jusqu’à vider la brouette à demi remplie. La première mi-nute se passa sans incident, nos chefs étant tellement habitués à nous voir faire la pause fort souvent.

Quel tableau admirable ! Nous étions figés comme des statues, cela ressemblait à la minute de silence qu’on observait autrefois le onze novembre. Chaque civil regardant à gauche, à droite était complètement déconcerté. C’est une plaisanterie ! Que signifiait cet arrêt brusque à dix-sept heures, c’aurait été à dix-huit heures, nos petits chefaillons auraient sans doute réalisé ! C’est alors qu’ils commencèrent à s’énerver : « Arbeit, Arbeit, geh ma, geh ma », fusaient de tous côtés, mais la consigne était formelle, nous devions rester sourds aux injonctions.

Premier extrait

Parlons un peu maintenant de notre Ukrainienne. Elle était petite, boulotte pas spécialement jolie avec des nattes de fillette mais elle était agréable et dévouée. Elle lavait à la main le linge délicat, c’est-à-dire celui des patrons et souvent le nôtre. Nous la rétribuions, en conséquence car dans son camp réservé aux civils étrangers, ce n’était pas l’opulence. Bredouillant quelques mots d’allemand, cette langue était devenue l’Esperanto, elle nous expliqua comment elle était arrivée ici. C’était un jour de marché à Jitomir (ville d’Ukraine), elle se trouvait sur la place lorsqu’un camion allemand arriva. Elle fut ramassée comme d’autres jeunes et embarquée immédiatement sans avoir le temps de prévenir sa famille ni de se munir de quelques vêtements de route. Elle avait déjà assisté à de pénibles scènes : une horde de sauvages, le mot n’est pas trop fort, se précipitait souvent revolver au poing, semant la panique et pillant à qui mieux mieux. Celles qui fuyaient étaient souvent abattues, seuls les vieux étaient laissés. Toutefois, s’ils avaient une fille c’était elle ou une partie de la récolte qu’il fallait donner. Une solidarité bien organisée leur permit heureusement de survivre dans un univers qui, pour elles, était presque concentrationnaire. Il n’était pas rare d’en rencontrer sur les chantiers avec pelles et pioches. Qu’il soit dit en passant qu’elles avaient l’habitude des durs travaux.

Quatrième extrait

Pour une raison que j’ignore les Américains avaient décidé de nous rendre visite à l’heure du déjeuner ; au moins nous pouvions dormir. Le prélude fut le bombardement en piqué de l’usine Goering qui ne fit que des dégâts plus spectaculaires qu’importants. Nous comprîmes que leur tactique consistait à saper le moral, à paralyser la circulation ferroviaire mais à épargner certaines grandes usines dont ils pensaient sans doute se servir. En outre malgré toutes les précisions que permettait la technique, il était bien difficile d’atteindre des buts précis quand on bombarde d’une très haute altitude où ainsi ils ne pouvaient que difficilement être atteints par la défense anti-aérienne. Tou-tefois ils semblaient toujours emprunter la même route, elle suivait invariablement la voie de chemin de fer. Aussi comme on dit, nous étions aux premières loges. Petite précision : les Américains bombardaient de jour et les Anglais de nuit.

Troisième extrait

Afin de limiter les envois de France, nous devions adresser sur un modèle « made in Deutschland » une fiche portant notre nom ainsi que notre adresse codée : « 99156 XIII A Stalag XVII B Arb. Kmdo. 2017 B 246. » L’entête portait la mention : envoi aux prisonniers de guerre de couleur rouge si le colis ne contenait que des vêtements et du linge, bleue s’il s’agissait de vivres et d’aliments (le texte était ainsi libellé). Cela aussi s’assouplira par la suite. Toujours est-il qu’il fallut attendre deux mois la première lettre et trois le premier colis, début de mon nouveau trousseau. Cela allait permettre d’abandonner pour un temps les chaussettes russes généreusement offertes par nos geôliers. Pour les non-initiés, il s’agissait d’un simple carré de tissu sur lequel on posait le pied en diagonale, on rabattait tour à tour les quatre angles et le tour était joué. Je ne ferai pas de commentaire sur le confort que cela apportait. Un second comportant tabac, chocolat, sucre et pain d’épice fut le bienvenu. Il fut d’ailleurs suivi de deux autres, mais hélas cette fréquence ne continua pas. La priorité à des mouvements de troupe nous fit de nouveau tirer la langue. Heureusement que nous partagions dans une certaine mesure nos arrivages, tabac excepté, ce qui n’empêchait pas de s’offrir une cigarette à rouler de temps en temps.

Présentation du Roman "1800 jours"

Juin 40, l’auteur jeune instituteur de vingt ans est mobilisé.
Après quelques jours d’armée et de campagne, il se retrouve, comme près de deux millions de soldats français, prisonnier de guerre.
Il raconte dans ce livre ce qu’il a vécu pendant ces 1800 jours d’une manière vivante, précise et vraie de son départ de Paris jusqu’à son retour d’Autriche près de cinq ans plus tard.
Tout au long du récit, on découvre la vie de ces prisonniers de guerre, leurs activités qu’elles soient de travail ou de loisirs, leurs relations avec leurs gardiens et avec les civils ainsi que leurs espoirs, leurs déceptions, leurs souffrances voire leur découragement.
De nombreuses anecdotes émaillent le texte cependant, la Gestapo, les déportés et les bombardements sont bien présents pour rappeler le côté tragique de cette guerre.