Grande Famille

En cette matinée morose, tant par la petite brume fine de ce début de journée maussade que par la multitude de visages ravagés par les larmes et la tristesse, une foule épaisse et étonnamment colorée encerclait le lotissement des Fougères. Deux cents personnes qui n’avaient pour seule ressemblance que celle de leurs corps prostrés et de leur mine dévastée, se retrouvaient là, entassées, sur cette petite place. Tous affichaient leur désespoir et leur consternation pour ce rite des plus abominables et inévitables. Le deuil.
Une personne étrangère au drame de cette petite ville n’aurait pas pu se tromper sur les raisons d’un tel attroupement. Tous reflétaient la perte d’un être cher. Mais, quel défunt pouvait se glorifier d’avoir une si grande famille ? Qui pouvait bien rassembler autant de personnages hétéroclites ? Un artiste ? Une star ? Un homme politique ? Non, non, rien de tout ça, malheureusement. Des murmures de leur traumatisme émanaient les raisons de leur souffrance. Et d’un souffle, le profane, passant par là par hasard, aurait pu entendre la brise lui murmurer les recommandations d’un ange… Visiteur, s’il te plait, passe ton chemin si tu ne veux pas t’émouvoir, retourne sur tes pas, et surtout, n’écoute pas le silence de leur colère, ne la laisse pas t’envahir…
La foule se prosterna le long du lac puis des rues de la ville. La procession avançait dans le calme et l’ordre, chacun s’abstenant de parler, et tous, évitant de dévisager la personne qui avançait à leur côté, refusant de le considérer comme le voisin, le proche, l’ami qu’il était ou bien l’inconnu qui s’était joint à eux. Tous se considéraient comme les membres d’une même famille venue commémorer la mémoire de leur fils perdu. Tous les participants essayaient de garder leurs ressentiments enfouis en eux, et cherchaient en vain l’absolution de leurs pensées meurtrières. Oui… Tous s’efforçaient de calmer leur soif de justice dans cette étrange patience à avancer en troupeau jusqu’à l’hôtel de leur peine.

Effroi

Arrivés les premiers sur les lieux, enfin, premiers gendarmes… Patrice et Robert ouvraient de grands yeux, ils comptèrent rapidement dix femmes en pleurs et chemises de nuit, quatre papis déboussolés en pyjama, trois femmes hystériques avec les cheveux en pétard, la pharmacienne apeurée en robe de chambre, cinq autres commerçants du centre et une folle vêtue de rouge. Mais, qui avait besoin de secours ? Eux tous ?
Non…
Les yeux de Patrice passaient de visage en visage, de paires d’yeux en vision d’horreur, et, terrifié à son tour, il comprit vers qui son regard devait s’attarder. Quelques secondes suffirent à marquer le sien, rien n’aurait pu effacer la haine, la stupeur, et l’effroi qu’il pouvait lire dans leurs yeux à présent qu’il aidait la foule à se reculer, et à porter secours à …
La folle accroupie dans cette mare ?
Ou bien… Ce qu’elle tenait dans ses bras ?
Ce qu’elle ne voulait pas lâcher ?
C’est donc lui qui a besoin d’aide ?
Non pour lui c’est fini… Pensa-t-il résigné.
Pour la première fois en quinze ans de service, des larmes de douleur montèrent aux yeux de Patrice CLEMENT, des larmes de haine.
Qui a bien pu ? Comment pouvait-on faire ça ? Non… Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar, on va tous se réveiller ! Pensa-t-il en tirant sur cette vieille dame qu’il reconnaissait enfin, abandonnant ce petit garçon avec qui il avait discuté la semaine passée dans sa cuisine…
Ne pleure pas, je ne souffre plus…

Délivre-moi !

Je te vois.
Je t’attendais.
Je te remercie de m’accueillir.
Réconfort.
Mais qui est près de toi ?
Pourquoi tu ne t’approches pas ?
Doute.
Réponds-moi…

L’homme suppliait. Mais l’ange ne voulait pas lui répondre. Il ne pouvait pas se résoudre à accepter cette âme. Il avait beau chercher une infime raison de lui céder, il n’en voyait aucune. Il ne réussit pas à voir une seule lueur de bonté en lui. Il n’en était pas capable. Aucune bonne action ne réussit à venir interférer en sa faveur dans le chaos et le désordre qu’il avait provoqué ici bas.

Prêt à défaillir, l’ange sentit un réconfort l’envahir. Une nouvelle âme affranchie lui montrait le chemin. Le guidait. Au paradis ? L’ange ne se fit pas prier pour la suivre. Il laissa l’âme torturée de l’assassin à son destin funeste. Il laissa les bourreaux de l’enfer l’emporter. Il ferma les yeux sur lui. Jamais il n’aurait pu lui pardonner. Alors, prêt à dépérir de ce flot de haine et de victoire qui l’envahissait, il laissa cette main inconnue le guider et l’envelopper dans un rayon de bien-être, au lieu de sombrer.

En cette nuit paisible, vues des nuages, deux âmes s’envolèrent vers une plénitude infinie tandis qu’une autre fut bannie, rejetée dans les méandres de la souffrance éternelle. Du ciel on ne perçut qu’un râle, une prière comme un juron. Ou était-ce un simple mot ? Un ordre ?

Reviens !

Des rumeurs aux vérités …

Du haut de l’infini, un ange observait une foule. Des larmes de brume lui perlaient. Il ne respirait pas. Il ne parlait pas. Il écoutait. Assis sur le haut de la fontaine, le petit être froid s’était rapproché pour observer les âmes. Il les regardait se débattre dans leur misérable existence. Il aurait voulu les réconforter mais il ne put qu’entendre leurs souhaits. Comprenant qu’il était la cause de leur tourment, ses bras invisibles se tendirent vers eux, mais aucun ne put recueillir ses aveux. Il ne pouvait que brasser l’air et désespérer face à tant de douleur. Comment un ange pouvait-il pleurer du mal qu’il avait engendré ?
Du meilleur endroit où la pensée humaine avait pu s’exprimer librement en ce samedi maussade, l’ange était parmi eux, sur cette place du petit marché de Châteaurouge en Bresse. Conscient que chaque personne, chaque famille, chaque ami, dans chaque habitation du village avait réagi différemment à la nouvelle de l’arrestation de son meurtrier, qui avait tant fait pleurer ces âmes à son décès, il les regardait triste et accablé. Il ne les connaissait pas tous et pourtant ils peinaient tous à cause de lui.
Non loin de lui, sur le panneau d’affichage de la mairie, une pancarte attirait tous les regards, ce matin. Aspirant tous les vivants, elle l’invitait lui aussi, à s’assoir près d’elle et à s’attendrir de la souffrance dont peut-être sa présence permettrait une quelconque délivrance…

Actuellement épuisé, cet ouvrage n'est plus disponible. Nous restons à la disposition de l'auteur pour en lancer une réédition.

Le roman « Par’ange » est une composition de l’auteure prenant point de départ sur ce que furent  les dernières heures d’un enfant de presque onze ans lors d'un fait divers qui la marqua profondément. Elle déroule le cheminement de l’esprit et des actes d’un criminel ;  la torture intellectuelle et physique de ceux qui ont dû subir la perte de cet enfant. Elle explore  le chemin du refus de la finalité d’une barbarie gratuite et la diversité des attitudes  de tous ceux qui de près ou de loin interviennent en de telles circonstances.
Le personnage principal de ce roman n’est ni le tueur, ni sa complice, ni cet enfant perdu ou bien sa famille dans la douleur mais plus le ressentiment, la réaction de toute une population proche ou lointaine de lui, par de fines approches psychologiques individuelles proposant une vision d’un émoi global face à une injustice.
Ce roman amène le lecteur à la réflexion mais aussi à la compassion et, idéalement au respect de la vie humaine.
L’auteure  nous interpelle sur nos attentes de justice, notre attachement à la vie, mais aussi sur le pardon tout en comprenant les cœurs qui demandent réparation, la peine de mort étant une possibilité et un choix de masse toujours remise en question dans ces situations tragiques.

 

Format	140x205x26 -
N° ISBN	978-2-36728-000-4
Premiere parution le	15 septembre 2012 édité par les plumes d'Ocris
Prix	21.00 € port France 3.00€
	En rupture de Stock