Entends la mer

Le long de la carène entends-la qui murmure
Des arbres dans le vent perdent leur cargaison
L’automne sans arrêt navigue à nos amures
La ligne des forêts jaunit nos flottaisons

Le long de la carène entends-la qui frissonne

Les robes déchirées se meurent à ce bruit

Sous nos ventres obscurs la peau nue s’abandonne

Une étoffe sans fin se défait de ses plis

 

Le long de la carène entends-la qui respire

Une femme endormie fait la même rumeur

Quel sein vient-il glisser sur le flanc du navire

Et quelle mer lécher la coque du dormeur

Paris, cette nuit-là

Paris cette nuit-là au bras de ce garçon

Tout au long des trottoirs où chantonnaient les filles

On entendait l’amour marcher sur la Bastille

Je me rappellerai toujours cette chanson

 

Il paraît qu’ils l’ont pris tout près de Vaucresson

Et qu‘il chantait encor cet air de la Courtille

Les rosiers n’auront plus tant de roses qui brillent

Je me rappellerai toujours cette chanson

 

Ces messieurs de Paris la guillotineront

Ils me parlent toujours en pleurant de leurs filles

Avant de commander que je me déshabille

Je me rappellerai toujours cette chanson

 

Madame Emilia me demande au salon

Le corps selon la loi revient à la famille

Lui me disait toujours de garder ma résille

Je me rappellerai toujours cette chanson

L'amour est un coq noir

L’amour est un coq noir dans la gorge des nuits
Il tourne à tous les vents de toutes les églises
Il a le cou tordu entre peau et chemise
Il a le col tranché dans la blancheur des lits

L’amour est un coq rouge enfoncé dans les filles

Dans l’herbe bleu de nuit qui pousse après quinze ans

Et ses ongles poignards trouent des chemins de sang

Des tiédeurs d’acier doux des pluies chargées d’aiguilles

 

L’amour est un coq blanc aux barreaux des prisons

Des pas dans le couloir de haute surveillance

Une aube capitale au bout de l’espérance

L’ami des jours heureux triplant sa trahison

 

L’amour est un coq noir et rouge et blanc qui hante

Les condamnés à mort les servantes sans feu

Les filles sans amant et les nuits sans aveu

Traître bourreau martyr imbécile et qui chante

.

Un officier me vient

Un officier me vient apporter cette lettre
Que vous ai-je donc fait
Dieu que j’étais heureuse avant de vous connaître
Au moins je le croyais
Et puis j’ai vu ma vie passer sous mes fenêtres
Un cavalier français
Jeune charmant vainqueur vous n’aviez qu’à paraître
Il ne fut que trop vrai
S’il ne faut pas aimer pourquoi donc faut-il naître
On ne le dit jamais
Comme vous m’étiez cher mon seigneur et mon maître
Ah ! Cruel tu le sais
Votre officier me presse et lui aussi le traître
Doit laisser des regrets
Mais tout l’amour soudain peut-il donc disparaître
Comme soudain il naît
Ne vous souvient-il plus de notre allée de hêtres
Et du soir qu’il faisait
Ne vous souvient-il plus de ce concert champêtre
Comme je vous aimais
Il faut que je finisse Adieu voici vos lettres
Voici mes bracelets
Adieu mais que ce mot me glace et me pénètre
Sachez que je vous hais
Si vous étiez venu si vous veniez peut-être
Je vous pardonnerais

"Au fond de la terre au fond de l’absence
Etoile du Soir ou Porte Dorée
Rendez-moi l’espoir la correspondance
La ligne de vie les stations brulées"

"Long Cours", le poème qui donne son titre à ce recueil, est un hymne primesautier aux stations de métro, écrit à l’âge de 20 ans.
La poésie de son auteur est pourtant bien souvent plus noire. La mort, l'amour cruel, la lame des couteaux en forment la trame, mais aussi les bateaux, les forêts et les siècles.
Son style, le plus souvent très classique, se dévoile aussi, dans d'autres poèmes, fluide comme une comptine, coupant, mystérieux, ou ardu tel un dessin à la pointe sèche.

Note de l'éditeur :

Le poète,  dans "Long cours" s'est laissé, très largement, inspirer par la grande Histoire de France, et y fait s'exprimer nombre de personnages célèbres entre châteaux et royaumes. Il écrit dans une forme classique, dénuée de ponctuation, utilisant un vocabulaire particulièrement riche et choisi.