Deuxième extrait

Je me sens une fraternité infinie avec les fils et filles de pères inconnus, les enfants de pères précocement disparus, les exilés de Vaters de tous poils.

Souvent après ta mort, je me suis dit : c’est comme si tu n’avais jamais existé. Quel legs, quel souvenir tendre ? Alors, j’ai creusé la terre pour t’entendre. Pour écouter un frémissement de toi.

Je les écoute témoigner et toujours, toujours. Je lis dans leurs yeux cette éternelle et pitoyable question : pourquoi m’as-tu abandonné ?

Pourquoi ? Quelle erreur d’encodage a pu se produire pour que je ne retienne pas plus ton attention ? Pour que, seules, ton indifférence, ta fatigue ou ta réticence répondent à mes muettes questions ? Celles qui hurlaient si fort dans mes yeux, sur les veines de mes poignets, bleues comme les tiennes. Bleues comme toi.
Pourquoi cette place vide alors que d’autres bienheureux l’ont peuplée de violons, de foot, de cabanes dans les bois, de livres partagés, d’interminables discussions ?

Pourquoi, quelle faute, pour que lui, le copain de classe, pas plus ni moins futé que moi, « bicyclette » tous les dimanches avec le sien ? Pourquoi elle, qui tous les samedis « équitationne », se fait conduire à l’école par le sien ? Pourquoi cette préservation, cette tendresse ? Pourquoi ont-ils eu cette chance et pas moi ? Quelle faute première ai-je commise pour cette condamnation-là ?

Premier extrait -

Puisqu’il faut bien en convenir, puisqu’il faut un jour comprendre cet appel fou, ce manque absolu, je te cherche dans tous les regards. Dans tous les espoirs, dans tous les coins de mes rues. Toi qui désertas mon enfance pour une partance absolue, si lointaine que je n’ai pu t’y rejoindre jamais… Des larges pages du Journal Le Monde, qui t’engloutissaient chaque soir, à l’inexorable descente vers l’Alzeihmer’s plage, ta vie ne fut que fuite éperdue. Sans que jamais ta présence physique ne me fasse offense, ton esprit voyageait loin de mes sourires de petite fille. Tu ne les as pas vus.

Tu étais occupé à de trop grandes choses : le travail sur Paris te prenait de longs jours, puis venaient les longues heures de repas et de sieste qu’il n’était pas question d’interrompre pour me serrer dans tes bras…

Dans mes désirs de blotissements actuels, Papa, je revis le manque de tes bras.

De ton pauvre et grave sourire, je picore les éclats. Dans des rires difractés qui ne sont pas de toi. Reflets contraires qui ne m’illusionnent pas.

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 Troisième extrait -

Tu as bu tout cela avant l’asile, papa. Tu as bu tout cela. L’histoire a redéfilé devant tes cils, dans les périodes d’absence et d’exil. Ces pays, ces chants si imprégnés en toi qu’ils te venaient aux lèvres en quelques minutes d’intense joie, d’ancienne joie. Tu te barrais loin au-delà des tours, vers des pays de cocagne. Si on te surprenait, le chant joyeux s’arrêtait pour faire place au silence et à une gêne feutrée perceptible à mes armées intérieures surentraînées.

Ton mystère, ton mystère papa…
Ton mystère… La guerre ? Je ne sais rien de la manière dont tu l’as traversée. Grâce à ton père, tu as échappé à la galère du STO. Est-ce pour cela que tu le vénérais, le craignais, l’adorais ?

Tant de mystères. Tant de silences. Je bruis de tous ces « pourquoi » ? Et celui qui m’aura tant parcouru le cœur et l’esprit résonne en un : Ai-je jamais existé pour toi ?

Dans quel rayon de ta mémoire m’avais-tu si prestement accrochée pour que tu m’en expulses, à peine la porte de l’hôpital passée ?

Présentation de l'ouvrage et commande

Un père absent. Ça semble simple à dire, à raisonner, à classer. Ça aide à ne pas souffrir, à recouvrir le tout d’une mousse grise de déception apprise pour ne pas pleurer. Faire comme si rien n’avait vraiment existé, rien impacté. Et puis, au fil du temps des années, bien après son décès, des images soulèvent le voile et gâchent cette belle glaciation… Était-il un peu présent tout de même, au creux de son silence, de son indifférence supposée ? Que cachait cette solitude à deux ? Ce partage, ce dialogue impossible, et s’il avait eu lieu quand même, ailleurs ?

Tel un détective, Camille Arman prélève les moindres indices laissés dans sa mémoire et sur papier glacé, afin de redonner souffle et vie à celui qui restera le grand mystère de sa vie, son père.

L'auteur dédicace les ouvrages commandés par le site.