Premier extrait

Une nuit d’insomnie comme bien d’autres, mes crises d’angoisses me reprennent sans que je sache vraiment ce qui les déclenche. Je me retourne plusieurs fois dans mon lit, rien ne sert de bougonner. Je le sais, ma nuit est finie et sera peuplée d’images incompréhensibles.
Avec résignation, je m’extirpe de la chaleur de ma couette et comme un automate, enfile un manteau et prends les clefs de contact de ma voiture. Rouler droit devant moi, ne pas me poser de question ; je sais que cela ne sert à rien, il me faut simplement attendre. Je ne sais pas où je vais et puis, honnêtement, je m’en fiche. Je voudrais juste trouver la paix, sentir mon cœur ralentir et pouvoir me poser sans crainte. Je me sens oppressée mais ne sais ni pourquoi, ni par qui. Cette désagréable sensation ne veut plus me quitter et j’ai beau rouler, rien n’y fait.
Je prends tout d’un coup conscience d’être dans un village, j’adapte ma vitesse, concentrée sur ma route. Il faut dire que tout est en ligne droite, donc l’effort n’est pas trop important, mais le peu qu’il me demande m’apporte comme une bouffée d’air frais. Je ralentis encore, trop heureuse de cette accalmie.
Mon regard est attiré par une vieille demeure à pans de bois, me semble-t-il. Il fait sombre et la rue n’est pas éclairée, quelle idée de traîner ainsi ! Je m’arrête, cette maison est superbe dans la lueur des phares, un rien fantomatique, trop attirante, idéale, un rêve éveillé. En plus, je ressens une impression bizarre, comme si elle me « parlait », qu’elle me disait :
« Je t’attendais »

Deuxième extrait

Ça y est, le grand jour, est enfin arrivé : le notaire, les papiers, tous les détails sont réglés. L’ancienne propriétaire accompagnée de son mari, nous propose, à Joël et à moi, de nous retrouver devant « Ma » nouvelle adresse afin de boire le verre de l’amitié. Je me fais l’effet d’une personnalité qui coupe le ruban d’inauguration d’un nouveau bâtiment, le torse bombé d’un plaisir non dissimulé, j’introduis « Ma » clef dans la serrure de « Ma » maison
Un verre à la main, nous fêtons mon acquisition. La dame me demande si je suis heureuse. J’éclate de rire ! Je transpire, j’irradie de bonheur et dans mon exaltation lâche mes impressions à voix haute, avant de me rendre compte qu’elle va sûrement me prendre pour une folle. Tant pis, j’ai commencé, alors autant finir. Je lui montre un endroit dans la cuisine et lui dis :
« Dans mon rêve à cet endroit il y avait une pompe à main en cuivre ».
Cette information m’est tout de suite confirmée.
« Oui en effet, mais je l’ai fait enlever pour garder un souvenir du passé. »
Encouragée par sa réponse je continue mon inventaire, tout en l’entraînant dehors.
« Là, il y avait un puits ! »
Tout en me désignant un endroit légèrement décalé avec mon emplacement, et en déplaçant les gravillons du bout du pied, elle me répond :
« Oui, on a posé une plaque de béton afin que personne ne puisse tomber à l’intérieur. »

Troisième extrait

Instinctivement je rouvre mes yeux, cligne des paupières afin d’apprivoiser l’obscurité. Une ombre s’y trouve, elle porte dans ses bras un enfant, c’est lui que j’entends sangloter. Ma vision n’est pas très claire, je parierais que c’est la même jeune fille qui m’était apparue lors du barbecue.
Je ne dis mot, j’attends bêtement, je ne sais quoi, tout me contentant de la regarder. C’est une belle jeune fille, elle ne doit pas avoir plus de dix-sept, dix-huit ans et son bébé, à peine six mois. Amoureusement, elle le berce pour le calmer. Nos yeux se cherchent, elle doit ignorer mon regard interrogateur et ne pas me voir... Mais contre toute attente, elle me sourit, me dit de ne pas me rendre malade, que tout va bientôt prendre fin.
Je suis très dubitative. Je vois d’accord, mais surtout j’entends la voix d’un « spectre » ! Je suis comme dans un rêve éveillé, tout ce qui m’entoure me paraît tellement réel. Comment puis-je être à deux époques en même temps ? Son passé est venu rendre visite à mon présent.

Quatrième extrait

Je suis Marthe, elle va directement à la cheminée, se retourne pour me faire face et de l’index, me désigne cette cheminée. Je ne vois pas trop ce qu’elle veut me dire et m’apprête à le lui demander. Mais je la vois s’affoler, elle me fait signe de me taire puis me demande de me cacher.

Un regard à droite un regard à gauche, je n’ai pas de cache possible sinon sous le lit. Je m’engouffre rapidement dans la seule cachette possible, juste à temps avant que la porte ne s’ouvre brutalement. Je ne comprends rien, je suis perdue. J’entends Marthe supplier, mais je ne sais pas qui, je ne vois que ses pieds. Un homme lui parle méchamment, d’un ton menaçant. Ses cris semblent étouffés je ne sais que faire pour lui venir en aide.