Deuxième extrait

Cette première journée se passe comme chaque premier jour de chaque rentrée scolaire sans trop de heurts avec plutôt une profonde satisfaction. Les uns s’appliquant à prendre des notes, à écouter le cours avec intérêt ; les autres, dans une semi-léthargie, simulent ou s’évadent, le regard fixé sur le vasistas qui donne vue sur la cour ombragée par un chêne colossal qui fascine les curieux. L’enthousiasme de ces derniers se manifeste davantage lorsque la récréation les invite à se regrouper par affinités. Ils peuvent souffler, échanger, partager voire se lâcher. Les rires fusent, les moqueries s’accélèrent. C’est dans ces moments de détente qu’apparaît celui devant qui tout le monde s’efface de côté pour lui frayer un passage :
─ Bonjour Monsieur le Supérieur !
─ Bonjour Benjamin ! Comment se passent les cours ?
─ Tout va pour le mieux, Monsieur le Supérieur ».
Ce dernier s’applique à saluer chaque lycéen par son prénom : jamais la moindre hésitation ! C’est pour lui une grande fierté.
─ Bonjour Julien ! Bonjour Pénélope ! Bien des choses à vos parents !
Il en impose non seulement par son allure stoïque mais par son savoir reconnu de tous, qui a su donner à son établissement la droiture et la réputation qu’on lui connaît. Debout, aux dires de certains, bien avant l’aube, il apprend onze vers de Virgile dont l’Épicurisme et le Platonisme le nourrissent au quotidien. Son goût prononcé pour l’étymologie des mots et sa curiosité intellectuelle pour toute forme de langage font de lui un linguiste talentueux et insatiable : à l’âge de soixante-dix-sept ans il apprend l’hébreu en se rendant deux fois par semaine dans une faculté parisienne. Les familles n’hésitent pas un seul instant à inscrire leurs enfants dans cette école enviée à mille lieues à la ronde. Notre ville bourgeoise de province est située à une heure de Paris et notre établissement, localisé en plein cœur d’une cité historique et d’une forêt domaniale sublime, accueille un grand nombre de jeunes de la capitale.

Premier extrait -

Je parcourais les couloirs de la faculté de Lettres, soulagée d’avoir vu mon nom sur les listes d’examens mais surtout ravie de quitter cette faculté que je n’avais pas particulièrement aimée : ambiance provinciale un peu snob et hautaine. Je venais d’un milieu très modeste, de famille immigrée pour qui endosser le chemin de l’université était une chance, non une occasion de se montrer ou pavoiser. Pas de temps à perdre..

......

Quant à moi, le plus difficile se profilait : trouver un poste vacant dans quelque établissement que ce soit, et si possible, à proximité de mon domicile pour éviter frais de logement et déplacements. Je passais l’été à prospecter. Les démarches furent nombreuses auprès des instances administratives. Les réponses négatives ne me découragèrent pas : si mon opiniâtreté me desservait parfois, elle se montrait force indéniable dans certaines situations. Le jour même de la rentrée scolaire, je ne désarmai pas. Quelques derniers coups de fil. « En effet, Mademoiselle, un poste d’anglais est vacant à ce jour dans notre établissement. » précisait une voix ferme mais tout juste audible, à l’autre bout du fil. Un rendez-vous était prévu pour l’après-midi même. « C’est un signe prometteur », pensais-je. J’avais comme un pressentiment.

Troisième extrait -

Je sens, ô combien !, que nos jeunes ont besoin d’être rassurés, accompagnés en permanence, d’un cours à un autre, d’un professeur à un autre. Ils comptent sur nous. Ils sollicitent notre aide, notre compréhension voire notre compassion.
Dans notre établissement, comme dans beaucoup d’autres, les avis divergent sur la fonction même du professeur. Il va de soi que transmettre un savoir en est la priorité. Cela est, je le confirme, assuré par chacun d’entre nous, avec une profonde et honnête conviction. Et pourtant, ce jour-là, à Christelle, notre petite donzelle angliciste craintive, de se risquer sur un terrain glissant et d’interroger l’auditoire : le rôle de l’enseignant ne doit-il pas être étendu à celui de conseiller, d’accompagnateur, voire de « psycho-logue ? » Elle aurait mieux fait de se taire. Que nenni ! Quand le sujet fait débat, Marie Hélène, s’échauffe comme à la tête d’une manifestation anti gouvernementale
─ Non mais, moi, je ne suis pas là pour être nounou ! Ils sont là pour apprendre : point barre !

 

Présentation de l'ouvrage et commande

Son diplôme en poche, voici notre jeune professeure d’anglais à la recherche d’un établissement pour exercer son métier et enfin rencontrer des élèves à qui transmettre sa passion.

Une première rentrée scolaire côté enseignant, la salle des profs, les premiers cours. Une année de découvertes, puis toute une carrière nous sont ici livrées au travers de situations vécues, d’anecdotes prises ici ou là, au détour de conversations, que Martine, relate, avec une pointe d'humour et de tendresse,

Armée de ses convictions pédagogiques, de sa générosité à « nourrir » ses élèves, elle ne manque pas d’être confrontée à des situations inattendues, imprévisibles, saugrenues mais tellement humaines.

« En coulisses », car au-delà du théâtre de l’école telle que la vivent les étudiants, le corps enseignant a, lui aussi, ses attentes, ses revendications, ses failles, ses enthousiasmes, ses petits conflits et grands projets et c’est là, surtout, que ce récit nous invite à entrer avec bienveillance non dénuée d’un regard critique et rieur.