Chapitre 2

Je me retourne. À travers la vitre arrière, je vois les minois pantois de nos deux amis devant les policiers qui font deux fois leur taille.
─ Nénuphare ! Va voir ! Va les aider ! Des pots de terre contre des pots de fer !

Je sors la tête de la portière. Je prends une photo pour en faire un cas dans les journaux si besoin est. Comme les paparazzis, je m'approche lentement avec mon appareil. Je demande, trop tard, au policier, si je peux lui tirer le portrait :

─ Non ! Non ! dit-il, les mains sur le visage.
─ Pourquoi pas ? Vous êtes un bel homme dans votre uniforme ! J'adore vos médailles !

Je lève le pouce pour lui faire voir comme il est beau au cas où il me comprenne mal. Les hommes savent que les femmes aiment les uniformes, emblèmes de leur autorité, de leur protection, disent-ils.

Flatté, le policier décide de s’éloigner de la moto, du collègue et de mes compagnons de voyage pour poser seul, sur le macadam, sur la route sinueuse qui court derrière lui, fier comme un paon. Clic !

Je le remercie. J’en profite pour lui dire que mon chauffeur est un excellent conducteur. Je lui demande si son travail est fini, si nous pouvons reprendre la route maintenant. Il fait plusieurs signes du revers de la main en hochant la tête tout sourire, pour indiquer que nous pouvons déguerpir. 

Chapitre 1 - L'arrivée

Je m'installe à l'arrière, avec mon petit sac à dos : ma vie. Le toit ouvrant est ouvert et les fenêtres aussi. Une odeur de caoutchouc humide me saisit les narines. Nous partons. Le vent chaud dans mes cheveux s'engouffre par les fenêtres baissées en tournant une manivelle. Cette chaleur tropicale que je suis venue chercher au milieu du mois de décembre pour trois semaines, me pèse déjà. Sans Guy. Quitter Londres, nos habitudes. Boycotter Noël puisque plus personne n'aime.

J'aime regarder ce visage d'homme dans le rétroviseur. Je ne vois que des lunettes d'Alain Delon et des cheveux de Che Guevara.

Ses sourcils sont épais, noirs, comme ses cheveux huilés, plaqués en arrière d'un coup de main, de temps en temps. Geste mécanique. Ils lui tombent en mèches autour du visage et s'arrêtent sur une nuque caramel à la peau d'enfant. Au menton, une barbe naissante ne réussit pas à cacher un nid de baisers.

Je n'avais pas encore vu la photographie en noir et blanc de Che Guevara accrochée au rétroviseur dans lequel je le regarde, cachée derrière mes lunettes de soleil.

Cette photo est entremêlée d'une petite croix noire du Christ sur un chapelet.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 9 - Le rocher aux lions

La montée d'escaliers est escarpée. Derrière nous, les oiseaux blancs aux fines pattes, sur les marais, deviennent des petits points vite inexistants. La jungle en bas persiste lourdement dans sa masse sombre, immense, là où même les éléphants, devenus insignifiants, ont maintenant totalement disparu de notre vision.

Du haut de ce rocher, haut de deux cents mètres, le temple au plus haut des cieux jouit d'un panorama inégalable. Ce rocher planté là, au milieu de la jungle, était à la hauteur des ambitions du Roi Kashyapa.

Dans un monde où la raison du plus fort est toujours la meilleure, les vaincus s'agenouillent devant les vainqueurs qui se dressent. Le Roi bâtit son fantasme ici. Le mien grandit.

Dans la grotte aux fresques, des femmes au physique arabique, à la taille fine, à la poitrine gonflée nue, posent élégamment, sensuellement dans des parures de fête. Elles portent des fruits, des fleurs pour une cérémonie. On imagine le Roi, assis sur son trône en salle à ciel ouvert, au bord de sa piscine, accompagné de plusieurs femmes......

Chapitre 8 - Les inondations

Il nous faut continuer de rouler. Rouler sans savoir exactement quand surgira la panne. La jauge ne bouge pas d’un millimètre depuis qu’elle reste bloquée à moitié du cadran. Il nous faut une heure pour arriver au village près de la ville où habitent les parents de Juliette. Sur le trottoir de la rue principale, un couple à moto, casques en main, nous fait signe. Che se gare. Ce sont les Capulet. J'étais à la fois étonnée de cette efficacité et ravie. Ce n'était qu'une coïncidence. Ils étaient venus chercher des médicaments à l'hôpital gratis, pour la grand-mère malade. Nous échangeons des poignées de main et nous reprenons la route avec la maman de Juliette à mon côté, sur la banquette arrière. Le père Capulet continuait à moto, jusqu'à leur maison pour nous donner 3 000 roupies, et nous dépanner.

La pluie incessante de ces derniers jours avait fait déborder les étangs, les rivières et les lacs de cette région.

─ Les inondations couvrent maintenant les chemins, les routes, dit la mère au visage fatigué. Les services sociaux sont en collaboration avec les gens des bourgades, pour aider les gens démunis de leurs biens. Je vais cuisiner pour eux…

C'est Roméo qui traduit car elle ne parle pas anglais, la langue universelle. Pourquoi le devrait-elle ?

                                                                                                                                                                                                  

               Après « L’illustre femelle », un regard de femme libre sur la condition féminine en Inde, « Yes Ma’me » est un nouveau récit de voyage, au Sri Lanka, cette fois.

                Tout en nous faisant voyager, l’auteure traite toujours avec humour les situations les plus étonnantes et partage sa vision du monde actuel, nous ramenant, dans ses apartés, aux réalités sociales et politiques dont elle mesure, dans le pays qu’elle visite, les incidences.

                Un aéroport, une pancarte, une vague location réservée par un ami, puis... gérer l’imprévu, parer à l’essentiel, rire avec les Sri Lankais qu’elle côtoie d’une amitié facile, les soutenir. À tout moment et en tout lieu, s’adapter avec en tête une seule façon de découvrir un pays et ses habitants : « Carpe Diem »